Chine : Xi Jinping sur les traces de Deng Xiaoping

Publié le par chineenmouvement

Le nouveau gouvernement veut associer le troisième plénum avec l'idée d'un redémarrage historique des réformes. Mais elles ne se feront pas en un jour !

La présentatrice du journal télévisé ne pouvait pas être plus explicite alors que s'achevait ce mardi dans la soirée, après quatre jours de réunions fermées aux observateurs, le troisième plénum du Parti communiste : "Trente-cinq ans après l'ouverture de la Chine, initiée par Deng Xiaoping... Il s'agit d'un deuxième départ pour les réformes", récitait la jolie jeune femme bien maquillée. Mais ce propos enjoué et ce visage avenant arrivaient en contraste saisissant avec les images diffusées quelques secondes plus tôt sur la même chaîne nationale, révélant le décor d'une scène de théâtre immuable. Dans la lumière jaunissante d'une salle de réunion indéterminée, aux rideaux tirés, sous l'oeil d'une caméra intrusive, défilaient les 376 membres du Parti communiste composant le cerveau du régime. Tous adoptaient la même allure, profondément austère, en apparence absorbés par la lecture de leurs documents.

Quelques minutes plus tôt, le président Xi Jinping était apparu, l'air mitigé, conduisant les six membres de la direction collective de son pas inimitable, à la fois nonchalant et déterminé. Voilà plusieurs jours que la propagande orchestrait une opération de "positionnement historique" de ce plénum, le comparant volontiers à la réunion déterminante de décembre 1978 (également un troisième plénum pour la mandature de l'époque) au cours de laquelle le père des réformes et de l'ouverture, Deng Xiaoping, avait annoncé son programme de modernisation et de facto pris le pouvoir, mettant fin aux deux années de "transition molle" menée par Hua Guofeng après la mort de Mao.

"Amélioration de la sécurité publique"

Ces dernières semaines, la presse officielle laissait entendre que des réformes déterminantes allaient être annoncées portant sur le droit de propriété dans les campagnes, la fiscalité ou l'ouverture du capital des gigantesques sociétés d'État aux investisseurs privés. Sur ce dernier point, le China Daily (journal officiel en langue anglaise), qui annonçait en première page lundi que les investisseurs privés pourraient acheter jusqu'à 15 % des sociétés d'État, s'est vu recadrer le lendemain par l'agence officielle Chine Nouvelle, laissant augurer à quel point le débat devait faire rage dans cette réunion à huis clos.

Finalement, c'est un communiqué très court et vague, résultant visiblement d'importants compromis, que le président a lu en conclusion du plénum. Comme prévu, des mesures sociales ont été annoncées qui visent à apaiser les inégalités de plus en plus criantes. Plusieurs formes d'aides seront mises en place et déclinées au fil des prochaines années (assurance chômage, santé et vieillesse), mais ces mesures faisaient déjà consensus. Elles sont en revanche accompagnées de l'établissement d'un "comité pour la sécurité d'État" qui ne laisse guère augurer d'un relâchement du tour de vis observé depuis l'arrivée du nouveau gouvernement. Ce comité devrait veiller à "l'innovation" dans la prévention et la suppression des conflits sociaux et à une "amélioration" de la sécurité publique...

En revanche, les autres réformes, plus sensibles idéologiquement ou financièrement, n'ont guère été explicitées. Pour le droit de propriété par exemple, mesure très attendue tant par les paysans que par les entrepreneurs privés, le communiqué annonce que "la Chine va promouvoir une économie avec différentes formes de propriété"... Annonçant d'un côté qu'il souhaitait "unifier le marché de la construction dans les zones rurales et urbaines", le communiqué a également précisé que "le secteur non public sera encouragé, mais [que] la domination du secteur public sera maintenue"...

Manque d'explicitation

Prudent, Xi Jinping s'est donné jusqu'en 2020 pour "obtenir des résultats décisifs" dans l'accomplissement des réformes et renvoie le bébé à une "équipe dirigeante centralisée" qui sera chargée de "définir les réformes, de les mettre en place et de les coordonner, ainsi que de les superviser". Il est clair que la bataille entre les autorités centrales et les "groupes d'intérêts" que la précédente administration dénonçait comme responsables du blocage des réformes est encore au coeur de la problématique chinoise.

Ces dernières années, Pékin a eu le plus grand mal à imposer sa voix face à des sociétés d'État de plus en plus puissantes, souvent dirigées par des enfants de la nomenclature, les fameux "princes et princesses rouges" qui ne reversent que de maigres dividendes à l'État central. Certaines ont pu financer des activités politiques extérieures à la ligne centrale du Parti communiste, comme l'a révélé l'an dernier l'enquête en marge de "l'affaire Bo Xilai". Quant aux gouvernements locaux, ils appliquent encore souvent le vieil adage "Le ciel est haut et l'empereur est loin" dans leur gestion des affaires locales.

Plusieurs commentateurs chinois semblaient déçus à la clôture du plénum que la réforme des sociétés d'État ne soit pas davantage explicitée. Mais des rumeurs insistantes à Shanghai laissent entendre qu'un projet pilote pourrait être lancé dans cette ville, puis étendu après expérimentation au reste du pays au cours des prochaines années. Depuis son arrivée au pouvoir voilà juste un an, et sous le couvert de la campagne anticorruption, Xi Jinping a imposé sa poigne, éliminant au passage son principal rival politique, Bo Xilai, mais inquiétant ce faisant l'élite, la presse et les entreprises étrangères.

Tactiques

Dans sa recherche de consensus, tout en réaffirmant la direction unique du Parti, Xi Jinping a fait un pas dans leur direction, affirmant qu'il était "opposé à la politique de la porte fermée" et reconnaissait l'importante contribution des entrepreneurs privés à l'économie chinoise. Un communiqué plus tardif a insisté sur le rôle "décisif" du marché, laissant entendre d'après les décryptages des experts de l'école du Parti que le gouvernement pourrait se montrer moins interventionniste à l'avenir et laisser le marché davantage réguler l'économie, notamment dans l'allocation des ressources comme la terre. Il a également affirmé le principe d'une indépendance croissante de la magistrature à l'égard des pouvoirs locaux dans le but, semble-t-il, de rassurer les entrepreneurs privés, dont beaucoup ont été spoliés de leurs biens une fois fortune faite ou maintenus dans une incertitude malsaine quant à la possession à long terme de leurs nouvelles propriétés.

L'annonce assez vague d'une "refonte du système financier" pourrait également recouvrir la libéralisation à venir du taux de change de la monnaie chinoise, mais les banquiers interrogés se sont montrés plutôt déçus par le manque de précision des mesures et n'excluent pas un accueil très froid des marchés qui attendaient des effets d'annonce. Une vague de communiqués est cependant attendue dans les jours ou semaines à venir et certains ont commencé à tomber dans la soirée, annonçant par exemple le projet concret d'ouverture de plusieurs zones franches dans les régions côtières.

Le fait de maintenir une direction politique très ferme et des discours relativement vagues étaient déjà des stratagèmes employés par Deng Xiaoping pour contourner les obstacles des conservateurs très puissants au sein du régime. Il avait ainsi fait avaliser le démantèlement des communes populaires dans les campagnes sous le couvert d'un simple "projet de modernisation agricole". Xi Jinping semble avoir décidé de renouer avec les tactiques de son lointain mentor. Mais les vieux idéologues gauchistes de l'époque ont disparu. C'est aujourd'hui davantage pour lutter contre les avantages acquis que le nouveau maître de la Chine avance avec ce mélange de prudence et d'opiniâtreté.

De notre correspondante en Chine,

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Publié dans POLITIQUE

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