Interview. Jean Jouzel : «Le plan Obama n'a pas d'ambition supplémentaire»

Publié le par chineenmouvement

S'il salue le vaste programme de lutte contre les changements climatiques annoncés mercredi soir par Barack Obama, le vice-président du Giec, le groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat, déplore néanmoins qu'il ne réponde pas à l'urgence de la situation.
Chercheur à l'institut Pierre-Simon-Laplace, Jean Jouzel est membre du bureau du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), dont il est vice-président du groupe scientifique. Il revient, pour Libération, sur le vaste plan de lutte contre le changement climatique lancé mardi soir par Barack Obama, alors que les Etats-Unis contribuaient pour 16% des émissions mondiales.
 

Que faut-il penser de ce plan d’action lancé jeudi soir par Barack Obama, qui remet enfin le climat dans l'agenda politique américain ?
Il est conséquent et global. Il fait 20 pages, et évoque aussi bien la nécessité de contrôler les émissions de gaz à effet de serre (GES) des centrales à charbon, l’urgence de lancer un plan d’adaptation aux changements climatiques ou le besoin de relancer les négociations internationales sous l’égide de l’ONU. Il revient sur le méthane, l’efficacité énergétique ou le rôle des forêts dans les puits de carbone, etc. On est clairement dans une philosophie différente de celle de l’ère Bush ; on a enfin quelque chose sur la table. Une dynamique et un vrai plan climat, notamment sur l’énergie renouvelable, même s’il n’y a pas un mot sur la question des gaz de schiste et du problème des fuites liées à son exploitation ; et rien de concrêt sur une éventuelle taxe carbone. A l’arrivée, le plan Obama, indispensable, ne répond quand même pas à l’urgence de la situation et des enjeux sur le climat.
 
 
Car il reste sur l'engagement, déjà très timide, pris par Obama en 2009 de réduire, d’ici à 2020, les émissions de gaz à effet de serre de 17% par rapport à leur niveau de 2005…
Oui, je rappelle que cela ne correspond qu’à une diminution de 3 ou 4% de réduction des GES par rapport à leur niveau de 1990, la date retenue dans les négociations internationales par la feuille de route lancée à Bali, en 2007. A l’époque pourtant, les pays industrialisés, y compris les Etats-Unis, avaient repris les conclusions du Giec qui évoquaient la nécessité, pour limiter la hausse des températures en dessous de 2°C, de réduire les GES entre 25 et 40 % d’ici )à 2020 par rapport à leurs des émissions de 1990. Si tout le monde suit la route des Etats-Unis, on aura 15% au moins d’émissions de GES en trop en 2020. Il n’y a donc pas d’ambition supplémentaire, et c’est tout le problème pour moi. Par ailleurs, si Obama prend date pour qu’en 2015, à Paris, on lance des négociations pour trouver un accord à partir de 2020, rien n’est dit sur la période 2015-2020… C’est le vide.
 
Le plan devrait permettre de réduire la pollution carbonique d’au moins 3 milliards de tonnes en cumulé d’ici à 2030, soit la moitié des émissions annuelles des Etats-Unis… Pas grand-chose, mais cela peut-il créer une dynamique pour rallier les grands pays émergents à s’engager dans la lutte ?
Oui, c’est très peu en effet, de l’ordre de 5% de baisse sur la période. Pour le reste, la Chine est, par bien des aspects, plus ambitieuse que les Etats-Unis. Elle a mis sur pied un marché carbone, elle a un grand plan sur les énergies renouvelables, et elle est partie pour améliorer de 40% son efficacité énergétique, comme elle l'avait promis à Bali, en 2007. Pékin prend au sérieux la question de l’environnement. Obama, lui, aurait pu lancer ce plan dès son arrivée au pouvoir, en 2008. Au moins, là, il n’a plus peur de ne pas être réélu, il a été secoué par la tempête Sandy (qui n'a pourtant rien à voir avec les changements climatiques) et il a peut-être envie de laisser sa trace dans la lutte et d’arrêter de voir les Etats-Unis rester à la traine sur le sujet. Si Al Gore avait été élu il y a dix ans, le même plan qu'Obama a lancé hier aurait été tout de suite mis en place. Et il aurait été beaucoup plus facile à mettre en route qu’aujourd’hui. Car la mise en œuvre s’annonce difficile. Et il faut que l’engagement présidentiel se traduise en actes concrêts. La résistance du Congrès s’annonce sévère, notamment sur la volonté d’Obama d’encadrer les centrales à charbon, qui pèsent pour 30% des GES aux Etats-Unis.
Libération, 26/06/13
Propos recueillis par Christian Losson

Publié dans ECOLOGIE

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