Le faux procès du capitalisme chinois

Publié le par chineenmouvement

«The Economist» s’inquiète du succès du capitalisme d’Etat dont la Chine serait le champion et qui défie le credo anglo-saxon de l’économie de marché. Le magazine britannique se trompe de cible

Se pose alors la question des recettes de ce modèle, si c’en est un, et de la possibilité de son exportation vers d’autres horizons. Dans un récent numéro consacré à «l’ascension du capitalisme d’Etat», dont la Chine serait le champion, The Economist s’inquiète de ce succès qui défie le credo anglo-saxon de l’économie de marché. En couverture, l’image de Lénine fumant le cigare s’inscrit sur un fond rouge avec ce sous-titre: «l’émergence du nouveau modèle du monde». On devine qu’il s’agit d’une menace comparable à celle qu’avait été le communisme en d’autres temps.

Le magazine britannique commence par rappeler que l’intervention de l’Etat dans l’économie n’est pas forcément vouée à l’échec. Cet interventionnisme a même été la règle dans la phase d’industrialisation des nations où que ce soit dans le monde. C’est pourquoi il parle de «nouveau capitalisme d’Etat» qui trouve son origine en Extrême-Orient, plus exactement à Singapour, et dont l’inventeur est Lee Kuan Yew, le chantre des valeurs asiatiques qui inspira Deng Xiaoping et ses réformes. Or, la «main visible» de ce capitalisme d’Etat menacerait désormais la «main invisible» du marché autorégulé. Outre la Chine, ce modèle rassemble la Russie et le Brésil, et séduit l’Afrique du Sud. On pourrait ajouter l’Iran, qui s’en est autrefois réclamé, et d’autres pays africains ou sud-américains.

Malgré ses indéniables qualités, reconnaît The Economist, ce capitalisme souffre de défauts majeurs: en concentrant le pouvoir, il favorise la corruption, décourage l’innovation et creuse les inégalités. Mais on comprend que sa principale tare est qu’il soit d’Etat, tout simplement. Or est-ce vraiment le problème, et si oui, est-ce un danger?

Ce «nouveau capitalisme d’Etat», comme l’ancien, combine secteur public et secteur privé; de plus, il est ouvert au marché mondial. L’essentiel n’est-il pas que la concurrence joue son rôle de stimulant des échanges? La supériorité du secteur privé sur le secteur public n’est pas une vérité intangible. En voulant faire le procès de l’Etat fort à travers le modèle chinois, The Economist se trompe de cible. Car le problème du capitalisme chinois, s’il y en a un, ce n’est pas qu’il soit d’Etat mais qu’il soit de parti unique. Plutôt que de capitalisme d’Etat, il faut en l’occurrence parler de capitalisme autoritaire. C’est ce capitalisme-là qui représente une menace pour le capitalisme démocratique.

Un capitalisme d’Etat sous gouvernance démocratique – comme en Corée du Sud et à Taïwan par exemple en Asie, ou, plus proche de nous, en France –, non seulement peut bien fonctionner mais ne représente pas de risque particulier pour le reste du monde. Le capitalisme autoritaire chinois (le léninisme de marché, disent certains) est par contre le véritable défi, car son succès présent pourrait détourner nombre de pays en voie de développement du chemin de la démocratie en se laissant séduire par la stabilité fictive qu’offre le modèle de Pékin.

L’Etat n’est pas le problème. Mais c’est la nature de cet Etat qui importe et celle-ci est déterminée par le régime politique. Loin d’être parfaite, la démocratie peut se trouver sous la menace de puissants groupes d’intérêts économiques, comme aux Etats-Unis, ou être en partie confisquée par des oligarchies comme au Japon ou même en Europe. Mais l’injustice sociale et économique est bien moins supportable dans un système de parti unique, aussi bienveillant soit-il, comme affirment l’être les dirigeants chinois reconvertis au confucianisme, que dans un régime d’alternance politique qu’autorise la sanction des urnes.

nouvelles frontières i11 février 2012 LE TEMPS (CH)

 

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