Liu Li-Gang : « Il y a des réformes essentielles à mener »

Publié le par chineenmouvement

Qu'est-ce qui vous frappe le plus dans les chiffres que vient de publier Pékin ?

On note d'abord que la croissance est globalement en ligne avec les attentes des économistes. Mais, ce qui est intéressant, c'est le fait qu'elle n'est que très légèrement au-dessus de l'objectif de 7,5 % que s'était assigné le gouvernement. Autrement dit, sans le mini-plan de relance intervenu après les mauvais chiffres du deuxième trimestre, la Chine aurait pu, cette année, manquer sa cible. La tendance de long terme est donc bien celle du ralentissement. L'économie chinoise est trop grosse pour continuer à croître à 8 % ou 9 % par an. D'autant que la part de l'investissement dans le PIB est très élevée (46 % du PIB), donc, par définition, la rentabilité de cet investissement décline. Cela renvoie à la problématique du rééquilibrage de l'économie chinoise.

Ce rééquilibrage est-il en cours ?

En un sens, oui, mais de façon trop lente. Il y a des tendances encourageantes. Par exemple, le secteur des services connaît une croissance rapide, ce qui est très positif. Mais il faudrait que ce phénomène accélère. Il faudrait aussi que le poids de l'industrie lourde diminue, pour évoluer vers une structure de production moins gourmande en énergie. Quant à la consommation des ménages, elle connaît une croissance constante ces dernières années, mais sans accélération notable ces derniers temps. Elle se situe sous la barre des 40 % du PIB, alors qu'il faudrait tendre vers 60 %. Ce qui ne peut se faire qu'à condition de réduire l'épargne de précaution des ménages, donc de développer réellement la protection sociale, qu'il s'agisse de la retraite, de la santé ou de l'éducation. Enfin, l'investissement est clairement trop élevé, mais nous pensons qu'il est extrêmement difficile de le réduire fortement à court terme, car cela risquerait de provoquer un décrochage brutal de la croissance. Il faudra donc que ce processus soit très graduel.

Comment voyez-vous l'avenir ?

A mon sens, les autorités devraient revoir légèrement à la baisse leur objectif de croissance, pour l'établir à 7 %. Non seulement cela enverrait un message fort aux gouvernements locaux, pour qu'ils se focalisent sur la qualité et la pérennité de la croissance plutôt que sur sa quantité, mais cela permettrait aussi de dégager du temps pour agir sur les sujets les plus urgents. Il y a des réformes essentielles à mener au plan financier, qu'il s'agisse de la libéralisation des taux d'intérêt, de la plus grande concurrence des banques privées ou du développement du marché obligataire. Il faudrait aussi libéraliser le secteur des services, où le gouvernement se taille encore la part du lion, comme dans les télécommunications, le ferroviaire, le transport, l'éducation ou la santé.

Qu'en est-il du risque financier ?

Je ne suis pas excessivement inquiet concernant les finances locales. Pour deux raisons. D'abord, parce que le gouvernement central, qui porte la responsabilité finale dans le système chinois, a des ressources financières qu'il peut mobiliser pour venir en aide à telle ou telle collectivité locale. Sans compter que des privatisations, nationales ou locales, peuvent apporter du cash là où cela est nécessaire. Ensuite, parce qu'une grosse partie du problème des gouvernements locaux vient du fait qu'ils s'endettent sur des projets d'infrastructures dont les retours sur investissement sont longs, mais n'ont accès qu'à des financements de relativement court terme. Un meilleur accès au marché obligataire pourrait permettre de résoudre une partie du problème.

Liu Li-Gang (chef économiste Chine chez ANZ)
Grésillon Gabriel, Les Echos du 21 janvier 2014
Correspondant à Pékin

Publié dans ECONOMIE

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