Les travailleurs chinois de la première guerre mondiale (1/2)

Publié le par chineenmouvement

Pour remplacer les hommes partis au front, la France et le Royaume-Uni ont fait appel à des travailleurs chinois sous contrat. Les travaux de l'historienne Ma Li apportent un nouvel éclairage sur cette histoire méconnue. Publié par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 2012, financé par le ministère de la défense, l'ouvrage intitulé Les Travailleurs chinois dans la première guerre mondiale a été rédigé par vingt-trois chercheurs dans neuf pays, dont la France, la Chine, Taïwan, le Japon et le Royaume-Uni.

Le 14 mai 1916, les autorités françaises et chinoises concluent un accord pour l'envoi de main-d'œuvre. Ce sont ainsi 36 975 Chinois qui furent envoyés en France dans les usines d'armement, les ports, les mines, les exploitations agricoles et les forêts. « Pour ce qui est du "Chinese Labor Corp", les travailleurs chinois recrutés par les Britanniques, nous disposons de chiffres contradictoires, explique Ma Li, maître de conférence à l'université du Littoral (Pas-de-Calais). Les sources anglaises font état de 93 000 travailleurs, les documents chinois de 100 000. »

Quatre-vingts pour cent des travailleurs furent recrutés dans la région du Shandong, dans l'est de la Chine. Principale raison de cette préférence ? Leur robustesse. Les Britanniques avaient déjà recouru à leur service pour l'exploitation des mines d'or d'Afrique du Sud en 1903-1904. Weihai, le port de cette province, était d'ailleurs administré par les Anglais. Pour nombre de ces hommes, qui n'avaient jamais quitté leur village, le voyage de trois mois en bateau fut fatal. « Certains n'ont pas supporté le mal de mer. D'autres sont devenus fous, se sont jetés à l'eau. D'autres encore sont tombés gravement malades », précise Ma Li.

Le trajet en mer Méditerranée était parfois semé d'embûches. Les paquebots n'arrivaient pas tous à Marseille, tel l'Athos qui fut torpillé par un sous-marin allemand le 17 février 1917, faisant 700 morts dont 543 Chinois. Ce désastre qui faisait suite à une dizaine d'attaques en mer contraignit les Français et les Britanniques à changer de route. Les travailleurs chinois traversèrent ensuite le Pacifique en bateau, le Canada en train, puis l'Atlantique. Arrivés au Havre ou à Dieppe, ils étaient dispersés dans toute la France. Les usines Renault, les mines de La Machine (Nièvre) et le port de La Seyne-sur-Mer (Var) furent des pourvoyeurs de cette main-d'œuvre. Du côté britannique, les Chinois étaient utilisés pour le déminage, la livraison d'équipements militaires, puis, après la guerre, pour le nettoyage des champs de bataille. « Les termes de l'accord sino-anglais n'ont pas été respectés. Le contrat stipulait que les travailleurs chinois ne devraient s'acquitter d'aucune tâche militaire, note Ma Li. Les Français ont également violé le contrat, dans la mesure où les Chinois travaillaient dans des usines d'armement ».

Les régimes contractuels étaient différents. L'accord signé avec la France prévoyait un recrutement pour une durée de cinq ans. Les travailleurs non qualifiés étaient payés 1,50 franc par jour (le kilo de pain coûtait 0,44 francs en 1914), les qualifiés (mécaniciens, artisans, interprètes), jusqu'à 6 francs. Le ministère des travaux publics mit des logements à disposition des différentes sociétés privées. Côté britannique, les travailleurs étaient embauchés pour trois ans. Les ouvriers non qualifiés étaient rémunérés 1 franc par jour, les qualifiés 1,50 franc. Les coolies étaient logés à Boulogne-sur-Mer, Saint-Omer, Calais et Dunkerque, dans des camps de travailleurs pouvant contenir jusqu'à 10 000 hommes. Ceux-ci n'avaient pas le droit de nouer des contacts avec la population locale. Les allées et venues étaient contrôlées. Malgré la présence d'environ 150 interprètes, d'importants problèmes de communication survinrent. « L'écrasante majorité ne comprenait pas les ordres donnés. Pour que les ouvriers se pressent, les officiers anglais hurlaient "Go ! Go !", ce qui en mandarin veut dire "chien ! chien ! ". Cela a donné lieu à des grèves, à des incidents entre Chinois et Anglais », relate Ma Li.

Selon les autorités françaises, 1500 travailleurs chinois seraient décédés pendant la première guerre mondiale. Les Britanniques font état de quelque 2000 morts. Ce dernier chiffre prête à contestation. « Au moins 27 000 travailleurs chinois ont disparu sur les 100 000 recrutés par le Royaume-Uni, explique Ma Li. Que sont-ils devenus ? Le travail de recherche doit être approfondi. Une hypothèse pourrait expliquer cette disparition : les travailleurs chinois se trouvaient dans la zone des combats, beaucoup d'entre eux ont dû être tués, puis être enterrés sur place dans des fosses communes ». Plus d'un millier de coolies chinois sont enterrés dans dix-sept cimetières du nord de la France, entretenus par la Grande-Bretagne. Celui de Noyelles (Pas-de-Calais) compte 843 tombes, celui de Saint-Etienne-au-Mont, 150. En revanche, il n'existe pas de cimetière pour les travailleurs chinois, entretenu par la France.

Le Monde 19/12/2013

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