Pékin hésite à imposer une taxe carbone à ses industriels

Publié le par chineenmouvement

La volonté est là, mais le processus qui mènera la Chine, premier émetteur de CO2 de la planète, à adopter une taxe carbone promet de s'étaler dans la durée. Depuis deux mois, les observateurs s'interrogent sur les projets de Pékin en la matière : en février, le directeur de la politique fiscale du ministère chinois des finances, Jia Chen, expliquait que la Chine allait introduire "une série de nouvelles taxes destinées à préserver l'environnement, dont une taxe sur les émissions de dioxyde de carbone".
Au moment où les négociations internationales sur le changement climatique semblent embourbées et alors que les Etats-Unis, autre pollueur majeur, ne sont pas parvenus à se doter d'un tel outil, la décision serait d'importance.
Mais, depuis février, Jia Chen a fourni peu de détails. On sait qu'il reviendra au bureau des taxes, relevant du ministère des finances, de collecter cet impôt auprès des entreprises, et non au département de la protection de l'environnement. Au-delà, M. Jia prend grand soin de ne pas se pencher sur une question majeure : quand cette taxe carbone pourrait-elle entrer en vigueur ?
L'hésitation des autorités pourrait même être interprétée comme un discret pas en arrière. Car, au mois de mai 2010 déjà, la presse chinoise citait des sources anonymes au sein du ministère n'hésitant pas à en dire plus. La taxation des ressources devait être revue de fond en comble avant l'introduction, "en 2012 ou en 2013, d'une taxe carbone portant d'abord sur une assiette faible" : de 10 yuans à 20 yuans (1,2 euro à 2,4 euros) par tonne de CO2, elle devait grimper à 50 yuans par tonne à l'horizon 2020.
Pourquoi ces atermoiements ? Depuis 2010, la Chine a avancé sur un autre dossier : les marchés d'échange de crédits carbone. Le 11 septembre 2012, la province motrice du Guangdong, dont l'économie équivaut à celle de l'Indonésie, a commencé à attribuer des crédits d'émission de CO2 à 827 entreprises représentant 42 % de l'énergie consommée dans la région. "Les marchés de crédits carbone ont nettement pris le pas sur l'avancement de la taxe", constate Wu Changhua, directrice de The Climate Group en Chine.
Paradoxalement, la communauté qui conseille le gouvernement sur ce sujet et dont Mme Wu fait partie considère que la création d'un nouvel impôt est bien plus simple à mettre en place et que les résultats d'une taxe sont davantage palpables.
 
"Fardeau économique"
Mais tout est question de priorités politiques. Développer des marchés de crédits carbone est un objectif explicite du douzième plan quinquennal, qui régit l'économie chinoise de 2011 à 2015, tandis que seule une taxe "environnementale" est évoquée, un terme délibérément vague. Surtout, les marchés de carbone sont pilotés par la Commission nationale pour le développement et la réforme (NDRC), un puissant ministère de la planification, celui-là même qui est chargé des négociations climatiques à l'international.
Or la NDRC dispose d'une plus large marge de manoeuvre que le ministère des finances, qui ne saurait imposer une nouvelle taxe aux industriels sans en enlever une autre s'il entend maintenir la croissance économique. "La principale inquiétude est de voir la taxe carbone se transformer en fardeau économique pour les entreprises", constate Ho Khoonming, spécialiste de la fiscalité en Chine du cabinet KPMG. Les puissantes entreprises d'Etat de secteurs tels que la production d'électricité et la métallurgie poussent Pékin à ne surtout pas avancer trop vite.
La question dès lors est de savoir comment rendre l'addition acceptable, en période de croissance ralentie. "Probablement en introduisant des incitations à l'investissement dans de nouvelles machines moins polluantes", estime M. Ho.
Les industriels exigeront, selon lui, la "neutralité fiscale", c'est-à-dire l'abaissement simultané d'autres impôts. Ce qui signifie une refonte complète du système de fiscalité des entreprises chinoises. La nécessité d'une telle réforme a d'ores et déjà été évoquée. Mais le nouveau gouvernement qui vient d'arriver au pouvoir dispose de dix ans pour mettre en place sa politique.

Le Monde, 13/04/13 Harold Thibault, Shanghaï, correspondance

Publié dans ECOLOGIE

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article